mardi 13 avril 2010

Les chats

Les grandes villes sont devenues, en cette aube du 21ème siècle, des mégalopoles tentaculaires. Plutôt que de les penser en termes de foncier ou de mobilier, il est devenu plus éclairant pour le sage de les approcher conceptuellement en termes de flux.

Selon cette hypothèse, les villes vampirisent les territoires qui les entourent. L’arrière-pays, l’hinterland d’une grande ville lui procure tout ce dont elle a impérativement besoin pour exister. Une ville étant avant tout un regroupement dense d’humains sur une zone donnée, les besoins élémentaires sont ceux des bipèdes susdits. Au premier rang d’entre eux, la nourriture.

Une stricte impartialité pousse l’analyste à ajouter que Ces flux ne sont pas à sens unique. Les villes, à leur tour, fournissent leur arrière-pays en denrées diverses. Mais comme il est tout à fait possible de survivre à la campagne sans police d’assurance ou émission de télé-réalité, il s’avère qu’en somme, les villes sont, pour leur subsistance, plus dépendantes des campagnes que l’inverse.

Imaginons maintenant un instant que pour une raison ou pour une autre, les flux entrants se tarissent. C’est par essence imprévisible : pollution excessive des sols les rendant impropres à la culture, désertification des campagnes, épidémie d’une forme virale de cirrhose parmi leur population, développement du cannibalisme rural, etc…

Non. Non, les villes ne se transformeraient pas alors en chaos post-apocalyptique où la seule loi serait celle de la jungle, la lutte à mort pour la survie, pour voir un jour de plus, pour s’approprier les rarissimes ressources restantes, comme dans un film d’Hollywood. Non. Elles n’en auront pas le temps.

Toute personne s’étant déjà occupé d’un chat sait à quel point ces farouches mais affectueux petits animaux sont attachés à leurs habitudes. Une routine immuable les conduit à réveiller leurs maîtres à l’aube, à ronronner à heure fixe, et surtout, surtout, à manger selon des modalités horaires supportant difficilement une variation de plus d’une demi-heure.

Somme toute, ce n’est habituellement pas la croix et la bannière pour les maîtres. Un retard exceptionnel sera facilement oublié par la bestiole. Dans les circonstances normales, seules les veuves trépassées ont à souffrir de l’appétit proprement dévorant des chats, et de leur profond mépris de l’intégrité physique de tous ceux qui les entoure. Néanmoins, les rares personnes ayant essayé de sevrer l’animal plus d’une journée savent à quel point l’expérience est dangereuse. L’inoffensive boule de poils mue fissa féroce prédateur.

Je vous laisse donc imaginer, sans entrer dans d’inutiles détails, ce qu’il adviendrait des pauvres humains si jamais le ravitaillement venait à manquer aux villes. Elles seront mises à feu et à sang, certes, mais moins à cause de l’égoïsme reptilien des bipèdes que par une légère  modification de la pyramide alimentaire.

dimanche 4 avril 2010

Le sport

Depuis quelques années, les travaux les plus récents en sciences sociales nous ont appris que les gens se divisaient en deux catégories : les cons et les très cons. Les règles inhérentes à cette partition sous-jacente à la société font que dans la dynamique de ces deux ensembles, les flux se font surtout dans le sens des cons vers les très cons, et rarement l'inverse.

Il est intéressant de se demander comment ce passage se fait. Si on imagine la connerie non pas comme une surface plane, mais un objet en plusieurs dimensions, on se rend compte qu'il n'est pas nécessaire de passer par tous les vecteurs de la surface pour arriver à la très grande connerie. Il y a des accélérateurs. Des lignes droites ou des courbes qui permettent de brûler les étapes et d'accéder directement au point final. On appelle cela, paraît-il, la distance géodésique de la grande connerie, on plus prosaïquement la Connerie à Grande Vitesse.

Dans la réalité sociale, un de ces accélérateurs est le sport.

Oh bien sûr, je ne parle pas de l'amicale des boulistes de Bar-le-Duc, aimable regroupement surtout constitués de pépés dont le niveau moyen de connerie n'est guère plus élevé que dans le reste de la population, et se contente de considérations métérologiques ou d'actualité.

Non, je parle bien du sport sous sa forme organisée, c'est-à-dire sur sous sa forme compétitive. Et la mère de ces lignes de CGV, à l'heure actuelle, c'est le footbal. Bien entendu, il n'est pas ici question de la pratique en soi de ce sport que l'expérience désigne comme assez sympathique, prétexte à courir, chahuter quelque peu et se marrer à l'occasion entre gens de bonne compagnie. Ce dont il est ici question, c'est la compétitition footballistique, comme disent les indigents plumassiers de la dite presse sportive.

Encore, du temps de Lascaux, on peut comprendre que les homo sapiens se mettent sur la gueule pour la possession des terrains de chasse, des femmes ou des cavernes les plus confortables. L'histoire récente montre encore des exemples de conflits déclenchés dans le but de s'approprier les ressources de peuplades moins bien dotées militairement parlant. La connerie reste alors à un niveau d'étiage convenable, mais somme tout convenu.

Par contre, le fait que les alentours des stades deviennent périodiquement des zones de guerre civile est à mettre sur le compte de la Très Grande Connerie (la TGC) induite par la distance géodésique courte entre les cons et les très cons les jours de matchs de foot. Comme la geste guerrière en uniforme est plus ou moins en perte de vitesse, les très cons se rabattent sur la compétition sportive pour laisser libre cours à leurs pulsions chauvines.

Ou autrement dit et pour aller à l'essentiel, ceux qui hier se foutaient sur la gueule pour un drapeau le font aujourd'hui pour un maillot. On dit alors que la civilisation progresse.

Je ne m'étalerai pas non plus sur les valeurs esthétiques du sport organisé, avec ses stars en première page des magazines, et qui tentent de nous convaincre que le secret du bonheur est de ressembler à un vulgaire plagiste aux abdos saillants et à la gourmette arrogante. Il y aurait pourtant beaucoup à dire, mais la contribution à l'étude de la TGC de ces considérations serait négligeable face au vrai coeur du problème : certains croient que le sport est une guerre.

D'ici à ce que de véritables conflits armés éclatent à cause d'un match, il y a un pas que certains, pressés de remonter au plus vite la route menant vers la TGC, ont allègrement franchit. Rappelons que le 14 juillet 1969, suite à plusieurs rencontres entre leurs équipes nationales respectives ayant pour objectif la qualification à la coupe du monde de football, le Honduras et le Salvador se lancent dans une guerre qui fera 6000 morts. Il est à craindre, l'actualité étant régulièrement marquée par les victimes tombées aux abords des stades, que la prochaine étape de cette escalade soit empreinte de plus de professionnalisme. La CGV ne s'arrête pour personne.